C’est sur un ton complètement détaché, qui paraissait presque indifférent, qu’elle lui répondit.

- Tu aimerais que je dise oui, et que je te cite en exemple?

Elle faisait exprès. De ne rien laisser paraitre, quelle que soit les circonstances. Ça en devenant irritant à la longue.

- Ça suffit tous les trois. Il ne se passe rien de grave Antonia. Nathaniel était juste venu nous souhaiter une bonne nuit. Il n'est pas entrer dans le dortoir, donc il n'y a pas eu d'infraction. Maintenant, si tu permets, j'aimerais bien aller me coucher.

Alicia en avait marre, tout comme Nathaniel en fait. Cette situation était merdique et visiblement, Antonia se délectait de se retrouver en position de pouvoir face à eux.

Mais malgré l’atmosphère qui s’était gravement alourdit depuis l’entrée d’Antonia dans le dortoir des filles, malgré la colère de Nathaniel, et malgré le fait qu’Antonia était clairement en train de se moquer de lui, il y avait toujours cette attirance qu’il ressentait à son égard. Ça l’agaçait plus qu’autre chose, en ce moment. Pourquoi ne pouvait-il tout simplement rien ressentir, pour une fois? Il aurait aimé être capable de rester impassible. Partir sans se retourner, quitter les lieux comme s’il se fichait de ce qui venait de se passer. Sauf que ce n’était pas le cas.

- C’est quoi ce petit jeu, Antonia? Tu sais très bien que j’aurais tué pour obtenir ne serait-ce qu’une parcelle de ton respect. Pourtant, je ne vois pas pourquoi je ferais des efforts pour l’obtenir. Je doute que quiconque en soit digne.

Il planta son regard dans celui d’Antonia, chercha à y voir un quelconque sentiment humain, une lueur trahissant une quelconque émotion. N’importe quel indice qui lui laisserait croire qu’elle ne se foutait pas royalement de lui. Mais malgré la force de sa volonté, il comprit que jamais elle ne laisserait paraitre quoi que ce soit.

Ses yeux se posèrent sur le sol. Il glissa une main dans ses cheveux, puis reporta son attention sur Antonia. Ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais se tut. Il n’y avait peut-être rien d’autre à faire, en fin de compte.

Nathaniel tourna les talons et s’en alla.

Nathaniel n’aurait pas cru que quelqu’un parviendrait à le mettre dans cet état. Il ne comprenait pas lui-même comment Antonia avait pu l’ébranler à ce point, par une poignée de mots haineux jetés à sa figure. En temps normal, il en aurait rit. Que se passait-il? Il ne le savait pas lui-même. Mais il détestait se sentir ainsi, prit de court par ses émotions. Il avait faillit perdre le contrôle de lui-même tout à l’heure, et plutôt que de commettre un acte ou dire des choses regrettables, il avait préféré s’en aller. Ç’avait déjà été trop loin, beaucoup trop. Maintenant, il ne savait plus quoi penser. D’Antonia et de tout le reste.

Il avait envie de s’en aller, de retourner dans son pays natal, même si là-bas, les choses n’avaient pas tellement été mieux pour lui. Il n’aimait pas la personne qu’il était en train de devenir. Manipulable, faible, presque naïf. Normalement, c’était lui qui contrôlait. Le contraire ne se produisait jamais. Mais Antonia le manipulait avec une telle facilité, comme une vulgaire marionnette. Était-ce une si bonne chose que leur chemins se soient croisés, en fin de compte? Nathaniel ne regrettait pas ce moment passé au lac, au parc, avec elle. Il aurait répété l’expérience des centaines de fois, il aurait même été plus loin, si cavait été possible. Il s’énervait contre lui-même, s’en voulait de ne pas pouvoir lui tenir tête.

Il les avait laissées là, toutes les trois, dans le dortoir des filles. Sans même ajouter une dernière plaisanterie. Ce n’était pas dans ses habitudes d’agir ainsi. Normalement, il ne ratait jamais l’occasion de lâcher un commentaire déplacé, inconvenant. Ce devait être la première fois de sa vie qu’il ne se sentait plus d’humeur à blaguer.

Antonia, Alicia et Marion s’étaient effacées de son champ de vision. Il était en train de descendre les escaliers menant à la Salle Commune, quand il sentit quelque chose, ou plutôt quelqu’un, le retenir. Une main s’était refermée sur son poignet. Surprit, il se retourna. Son étonnement n’en fut que plus grand lorsqu’il constata que c’était Alicia – la même élève qui l’aurait presque tué pour qu’il sorte de leur dortoirs – qui se tenait devant lui. Pourquoi avait-elle tenu à le rejoindre?

- Tu as oublié de me souhaiter une bonne nuit !

Avant qu’il ne put répondre, elle se pencha et vint déposer un baiser sur sa joue. Était-ce réellement Alicia? Il n’y comprenait rien. Avait-elle eu pitié de lui? Si c’était ce sentiment qui l’avait menée jusqu’à lui, il aurait préféré qu’elle ne cherche pas à le rattraper. La pitié, c’était bien le dernier sentiment qu’il voulait faire ressentir à autrui. Il aurait préféré du dégout ou de la haine, plutôt que de la pitié.

- Ne la laisse pas te miner le moral. Tu es plus fort qu'elle, laisse tomber tout ce qu'elle pourra te dire.

Ainsi, il s’était trompé. Sauf qu’il n’arrivait toujours pas à comprendre pourquoi elle agissait ainsi. Lui qui croyait qu’elle le détestait ou même, qu’elle avait peur de lui. Bien qu’elle avait eu raison de se méfier de ses intentions, le jeune Serpentard se demandait quel motif lavait poussé à venir vers lui, à changer radicalement d’attitude.

Elle se tenait droit devant lui, affichant un petit sourire sur ses lèvres fines. Nathaniel ne sut quoi répondre. Il n’arrivait pas à ouvrir la bouche pour parler. Et il sentait que s’il commençait à parler, il n’arriverait plus à s’arrêter. Il finirait par s’ouvrir et deviendrait vulnérable. Ce qu’il ne voulait pas.

Nathaniel tourna la tête de côté, feignant d’éprouver un soudain intérêt pour le mur, pour ne pas avoir à regarder le visage d’Alicia, pour ne pas qu’elle puisse voir qu’aux coins de ses yeux verts avaient perlé des larmes. De rage, de déception. En fait il ne savait plus. Il ne voulait pas être vu comme ça.

Nathaniel avait détourné son regard des yeux d’Alicia, afin que la jeune fille ne s’aperçoive pas de l’état dans lequel il se trouvait. Mais elle l’avait probablement vu, cette lueur brillant dans ses yeux, puisque son geste avait manqué de subtilité. Il avait sûrement l’air pathétique, en ce moment, à fixer le mur comme si cela consistait en l’activité la plus intéressante du monde. Il sentait naitre en lui une montée d’adrénaline, son sang qui courait tout à coup plus vite dans ses veines, son rythme cardiaque qui s’accélérait. Une pulsion de violence, voilà ce qu’il ressentait en ce moment. L’irrésistible envie de frapper quelque chose. Antonia était capable de le faire tourner en bourrique. Mais maintenant, c’était surtout contre lui qu’il en voulait. Contre cette incapacité qu’il avait à rester calme, lui qui était parvenu à si bien contrôler ses accès de fureur depuis quelque temps. La jeune Préfète venait, en l’espace de secondes à peine, de briser tout ce qu’il s’était donné tant de mal à construire; son masque d’indifférence, cet air hautain, un peu arrogant. Enfin, il devait penser à autre chose. Il n’avait pas trop le choix.

- S'il te plait, ne la laisse pas gagner.

Que croyait-elle? Que tout ce qui s’était passé entre Antonia et lui n’avait été, depuis le début, qu’un jeu, une bataille à gagner? Peut-être était-ce de la même façon qu’Antonia percevait leur relation, après tout. Un simple jeu de séduction. Sauf qu’Alicia ne comprenait pas que la jeune Russe avait déjà gagné, depuis longtemps. Qu’il laissait tomber, parce qu’il en avait marre d’essayer de savoir ce qu’il y avait dans sa tête et que chaque fois, c’était sans succès. Il en avait marre aussi d’attendre, d’espérer obtenir plus de la jeune fille qui ne semblait rien vouloir d’autre que flirter avec lui, s’amuser un peu pour passer le temps.

- Si tu veux parler, n'importe quand, je serais là.

Nathaniel ne méprisait pas Alicia, en fait il n’aurait eu aucune raison puisque depuis le début, elle s’était montré quand même sympathique avec lui. Il l’aimait bien. Mais de là à se confier… il ne l’avait jamais fait, avec personne, alors ce n’était certainement pas aujourd’hui qu’il allait commencer. Ce qu’il pensait vraiment, il préférait le garder pour lui. S’ouvrir aux autres équivalait à leur donner l’arme la plus puissante qui soit, le moyen de le détruire, de piétiner son intimité. Et il n’y avait personne sur terre qu’il jugeait assez digne de confiance pour qu’il se décide à laisser tomber sa garde.

Il baissa les yeux, obsevra un moment la main de la jeune Serpentard qui s’était posée sur son épaule. Nathaniel ne s’était pas attendu à cela. Son regard se porta sur les yeux d’Alicia.

- Elle a déjà gagné de toute façon.

Sur sa joue, une larme avait coulée. Une seule, qu’il avait tenté de retenir, sans succès.

Nathaniel avait pleuré, et bien évidemment il s’en était rendu compte. Il avait laissé échappé une seule larme, et tout à coup il eut honte de lui même. Terriblement honte de se retrouver dans une telle position face à une personne qu’il connaissait si peu, une Serpentard en plus. La dernièere fois qu’il avait pleuré remontait à si longtemps qu’il ne s’en rappelait même plus. Enfin, si, il s’en rappelait, il avait juste envie d’oublier. Et voilà qu’il se conduisait comme un enfant. Ou était donc passé sa fierté? Il fallait qu’il se ressaisisse, et au plus vite, s’il ne voulait pas passer pour un faible. Car en temps normal, il n’était pas quelqu’un de fragile, il n’était pas blessé facilement. Si Antonia débarquait, maintenant, il mourrait d’humiliation. Ce serait le comble. Il espérait que l’idée d’aller faire un tour à la Salle Commune ne lui vienne pas en tête. Il n’avait pas particulièrement envie de se retrouver face à elle, pour une nouvelle confrontation.

Il se mordilla la lèvre inférieure, geste qu’il faisait seulement lorsqu’il se sentait nerveux, ou qu’il était plongé dans une profonde réflexion. Il regardait toujours Alicia, et son expression laissait clairement comprendre qu’il ne voulait pas qu’elle parle de tout cela aux autres… il avait une réputation à laquelle il tenait, une image qu’il voulait préserver, à tout prix. La voir salir par une personne qu’il considérait presque comme une amie – cela faisait longtemps qu’il n’avait pas utilisé ce terme pour décrire quelqu’un – serait la pire infamie qu’on pourrait lui infliger. Il ne pourrait le tolérer. Il fallait qu’elle comprenne que ce qui se passait, ici, en cet instant, ne concernait personne d’autre. Il avait l’habitude de receler tout un tas de choses, et il tenait à ce que cela reste ainsi.

Alicia ne dit rien, sur le coup, elle leva sa main, puis vint la poser délicatement contre sa joue. Elle essuya la gouttelette qui avait coulée. Il se sentit devenir soudainement plus crispé, mais se laissa faire malgré tout.

- Elle a gagné quoi ? La plaisir de te voir anéanti ? Et bien, j'espère qu'elle en est fière. Et j'espère aussi que tu ne comptes plus fuir, comme je pense que tu l'avais prévu avant que j'arrive. Fais ce que tu veux après tout. Au besoin, tu sais où me trouver !

Elle lui tourna le dos. Tout était dit, au fond, il n’y avait rien de plus à ajouter. Elle avait sûrement envie d’aller se coucher. Il comprenait cela, puisque la fatigue était en train de le gagner, lui aussi.

Parler, de lui ou n’importe quel sujet, était bien la dernière chose dont il avait envie en ce moment. Mais étrangement, rester seul à ruminer ses idées noires ne lui disait rien non plus. Il aurait bien aimé avoir un peu de compagnie, une personne qui savait se taire lorsque ce n’était pas nécessaire de parler.

Alors qu’elle se préparait à remonter dans les dortoirs, Nathaniel fit un pas vers elle. Sa main s’était refermée sur le poignet de la jeune fille.

- Reste donc un peu.

Son ton n’était pas implorant, sa voix était seulement grave et un peu rauque. Nathaniel Anderson ne suppliait jamais. S’il l'avait fait, sa fierté, si importante, se serait envolée d'un coup.

Nathaniel repensait à cette journée qui avait pourtant bien commencé. Il ne comprenait pas comment il avait pu en arriver là. Comment, en l’espace d’une heure ou deux, il avait pu se retrouver dans cette situation avec Alicia, avec qui il n’était pourtant pas proche. Ils n’avaient échangés que quelques banalités, sans plus. Il ne s'était pas imaginé que la situation s'alourdirait à ce point.

Elle s’était retournée pour lui faire face, tout en continuant de sourire. S'il avait été à sa place, il n'aurait certainement pas agit ainsi.

- Bien sur.

Il était un peu étonné qu’elle accepte sa proposition, et ce, malgré le ton autoritaire sur lequel il lui avait parlé. Le jeune Serpentard n’avait pas l’habitude de demander quoi que ce soit, généralement il préférait se débrouiller seul et ne dépendre de personne. Cette fois, il sentait qu’il n’avait pas la force de rester seul avec ses vieux fantômes.

Sauf que même s’il lui était reconnaissait qu’elle veuille bien lui accorder un peu de temps, il ne prit pas la peine de la remercier. Nathaniel ne l’aurait jamais fait. Il ne pouvait pas, étant donné que ce n’était pas dans sa nature de quémander puis de dire merci, comme un petit garçon bien élevé. Il se contentait donc d’attendre qu’elle ajoute quelque chose, puisque lui ne savait plus trop quoi dire. Il se sentait un peu prit au dépourvu, et il était toujours en colère contre lui-même parce qu’il avait laissé tomber les barrières. Nathaniel ne s’était jamais laissé aller ainsi devant quelqu’un. Il était dégouté de sa propre réaction.

- Par contre, on devrait aller ailleurs. Pas besoin de commère.

Alicia avait raison, et c’était difficile de l’admettre. Nathaniel savait qu’il refilerait la honte à ses camarades, si fiers eux aussi, s’il était vu ainsi. Et il ne tenait vraiment pas à ce que tout le monde soit au courant de cette histoire. Il ne pourrait supporter les railleries des gens stupides qui n’avaient rien de mieux à faire que de rabaisser les autres afin de se remonter. Il ne se serait pas gêné pour rembarrer quiconque aurait tenté de se moquer de lui en cet instant.

Mais il ne savait pas trop où aller, il n’avait pas d’idée d’endroit où ils seraient à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes. Puis, alors qu’il réfléchissait à cela, l’image de la salle sur demande s’imposa à son esprit. Il n’existait pas de meilleur endroit pour lui en cet instant.

- Que dirais-tu de la Salle sur demande? On ne risque pas d’être dérangés, là-bas.

Il parvint à esquisser un petit sourire.

- Au fait, on n'est pas obligés de discuter. Je connais une activité autrement plus intéressante.

Alicia était venue vers lui, elle l’avait rattrapé avant même qu’il n’eut le temps de se rendre à la Salle Commune. Elle lui avait parlé doucement, puis avait posé sa main sur sa joue. Une façon de le consoler, peut-être. C’était bizarre. Trop bizarre. Un geste attentionné auquel il n’était pas accoutumé, posé par une personne qui était, en fin de compte, une quasi-inconnue. Que savait-il d’elle à part son nom? Si elle ne l’avait pas suivie, il ne serait pas sentit aussi perplexe, embarrassé. Elle aurait du rester dans les dortoirs.

Mais elle devait être surprise de la réaction qu’il avait eut. Lui-même ne se reconnaissait pas. Et il n’aimait pas se sentir aussi étranger à lui-même. Comme si un autre être, une partie de lui qu’il ne connaissait pas, plus vulnérable, prenait possession de son cœur et de sa tête. Avec les années, il s’était forgé une personnalité égoïste, insouciante, froide et un coeur intouchable. Tant d’efforts en vain, brisés en si peu de temps.

Et maintenant, comme s’il ne se sentait pas déjà assez enragé et humilié, Alicia lui faisait comprendre d’une manière plus ou moins subtile qu’elle désirait mettre Marion au courant de ce qui venait de se produire. Elles pourraient en profiter et se moquer, au fond, ça leur permettrait peut-être de rigoler un bon coup. Il avait lui-même si souvent exploité la faiblesse des autres.

- Ne te méprends pas, c'est juste pour lui dire que Ganymède, mon elfe de maison, risque de venir dans le dortoir avec ma panthère. Il le fait chaque soir car je ne vois pas Déimos souvent. Je ne voudrais pas qu'elle ait peur en voyant une panthère des neiges surgir de nul part !

Une panthère des neiges? C’était plutôt loin de ce qu’il avait imaginé. Ainsi, elle choisissait de faire comme lui et de taire l’incident. Elle avait surement comprit qu’il valait mieux pour elle. Autrement, il ne savait pas ce qu’il aurait fait; mais chose certaine, il n’aurait pas laissé passé cela, car il ne voulait pas que Marion apprenne qu’il avait réagit comme un gamin. Autrement, ç'aurait été le comble.

Au fait, où était Marion ? Elle n’avait pas cherché à le rejoindre, et elle dormait peut-être déjà. Elle semblait si fatiguée depuis un bon bout.

- Je vais t’attendre ici.

Il leva les yeux. Pour s’apercevoir que Marion était là, à quelques mètres de lui à peine, dans le haut des escaliers, en train de l’épier. Sur son visage était affiché un petit sourire indéchiffrable. Ni triste, ni joyeux. Nathaniel sentit un brin de colère monter en lui. Il aurait préféré qu’elle ne se soucie pas de lui, plutôt que de le surprendre ainsi. Il n’avait pas besoin de son aide, ou de sa compassion. Ni de celle d'Alicia. Il ne se rappelait plus la raison qui l'avait poussée à la retenir, d'ailleurs. La peur de la solitude? Impossible...

Marion devait le prendre pour un lâche, un faible. Un homme qui pleure, c’était si ridicule, et il le savait. Mais Nathaniel Anderson, surprit avec les larmes aux yeux, ce l’était encore plus. Il n’avait pas prévu que la journée prendrait une telle tournure. Depuis quand avait-il perdu le contrôle des évènements? Lui qui avait été toujours si sûr de lui. Était-ce depuis que la jeune Russe était entrée dans sa vie?

Nathaniel avait toujours les yeux fixés sur Marion, qui tourna les talons et s’en alla, avant même qu’il ne puisse dire quoi que ce soit.

Son masque était tombé, sa carapace s’était brisée. Une vraie galère dans laquelle il s’était embarquée.

Nathaniel resta planté dans le bas des escaliers, les mains dans les poches, occupé à fixer le vide et à attendre qu’Alicia se pointe. Puis quelque chose de très étonnant se produisit. Un minuscule oiseau, d'un blanc immaculé, voletait tranquillement dans sa direction. Ce n’était pas un véritable animal… il avait l’impression qu’il était soit constitué de tissu, ou de papier. Il n'aurait su le dire. Mais il aurait juré que c’était de l’origami. L'oiseau volait tout près de lui. Quelqu’un avait prononcé une formule magique afin de transformer un morceau de tissu. Si ce n’était ni Marion, ni Alicia qui avait fait cela, il ne restait qu’une possibilité. Mais était-ce vraiment elle? Et pourquoi un oiseau?... Le souvenir de la journée qu'il avait passé avec elle lui traversa l’esprit. Son tatouage, cette petite plume, qu’elle avait dans le cou. Et puis ce sortilège qu’elle avait prononcé, et les dizaines de petits oiseaux qu'il avait regardé s'envoler et se disperser sur le corps de la jeune fille, émerveillé. Cette pensée lui donna un pincement au cœur.

- Attend Nath, reste quatre secondes...

Surprit, il releva la tête. Marion n'était pas partie se coucher. Elle était là devant lui, quelques marches plus haut.

- Tu sais, ne croit pas que je suis contente de ce qui t'arrive ... Je suis contente de constater que Nathaniel Anderson est un être humain, je commençais à en douter ! Ne te laisse pas démonter Nath, tu as un coeur, c'est normal de souffrir parfois, mais il faut savoir tirer une leçon de ses erreurs, n'en veux pas à Antonia, elle est un peu perdue... Confie toi, ouvre ton coeur et tu verra que ça fait du bien.

Il avait presque envie de rire. Un cœur, il en avait un, c’était bien vrai. Autrement, il ne serait tout simplement pas en vie. Mais son cœur à lui ne contenait rien qui soit véritablement bon. Et il tenait, par-dessus tout, à ce que ça reste ainsi. Il s’était juré de ne jamais s’attacher à qui que ce soit, de ne jamais rien faire pour quelqu’un d’autre que lui-même, et de rester méfiant, en tout temps. Pour certains, c’était peut-être impensable de vivre de cette manière, mais lui n’y voyait aucun inconvénient. Les gens n’avaient pas compris que c’était l’amour et l’amitié qui avait le pouvoir de les détruire. Briser d’un seul coup leur force, leur haine, leur confiance eux-mêmes. Il l’avait expérimenté par le passé. Et une fois, maintenant, qui était la fois de trop.

Dire d’Antonia qu’elle était perdue, c’était un gros mensonge. Au contraire, elle semblait toujours à l’aise, dans son corps et dans sa tête. Elle n’avait pas l’air de se soucier de grand-chose. Elle s’amusait avec lui, quand ça lui chantait, et il n’avait pas pu refuser. Ce n’était pas plus compliqué que cela.

- Aller, va maintenant, Alicia t'attend.

Le baiser sur sa joue lui avait fait l’effet d’une brûlure. Il avait dans le cœur tant d’amertume profondément ancré. Souvenir d’un passé lointain, vague, flou, lorsqu’il était davantage ce qu’on pouvait qualifier ''d’humain''.

- Un être humain? Les sentiments, la sensibilité, ce genre de trucs, ce sont des imbécilités. Ce n’est pas pour moi. Je suis Nathaniel, c’est tout, dit-il d’une voix basse et sérieuse.

Il n’avait pas besoin de confident, d’alliés, de quelqu’un pour l’écouter ou se battre à sa place lorsqu’il n’en avait plus la force. Il ne dépendait jamais de personne.

Sans vraiment y réfléchir, le jeune Serpentard, prit d’un élan qu’il n’aurait su expliquer lui-même, leva la main vers Marion, commença à caresser sa joue du bout des doigts. Ce moment passé au bal, lorsqu’elle lui avait avoué qu’elle le trouvait craquant, lui revint en mémoire. Elle lui avait demandé pourquoi il n’avait pas de petite amie, ce qui avait semé un doute dans la tête de Nathaniel. Si elle se souciait de sa vie amoureuse, était-ce parce qu’à quelque part, il ne la laissait pas indifférente? Si c’était cela, le seul service qu’il pourrait lui rendre, c’était d’être honnête avec elle. Il lui fallait quelqu’un qui saurait la respecter. Et cette personne, ce n’était pas lui. Elle méritait mieux.

- Trouve quelqu’un de bien pour toi, Marion. Quelqu’un qui saura te rendre heureuse. Ne perd pas ton temps à te soucier de moi.

Le bonheur, il n’y croyait plus depuis fort longtemps. Que des foutaises, un baume à mettre sur le cœur des âmes désespérées pour leur permettre de rester accrochés à leurs illusions et de ne pas sombrer durant les jours plus sombres. Lui, c’était la musique qui lui apportait un semblant de bien-être. Mais il n’en jouait plus depuis fort longtemps. Le mot bonheur, il l’avait donc chassé de son vocabulaire depuis fort longtemps. Mais Marion, de son côté, devrait quand même tenter de trouver son bonheur. Elle saurait mieux l’accueillir que lui.