J’ouvris les yeux avec force, comme si un coup violent venait de m’être porté. J’en avais le souffle coupé. La froideur de la peur me prenait tout entier, si bien, que les vapeurs d’eau qui se dégageaient des bains, demeuraient impuissantes sur mon torse nu. J’avais froid, j’avais peur. Mes muscles étaient tendus, et je n'osais les bouger. D’ailleurs, je n’arrivais plus à bouger. Mon regard était perdu dans un endroit qui allait au-delà même du plafond de la Salle de Bain. J’étais dans un monde ailleurs, dans seul l’esprit voyageur connait le chemin. Pourtant, étrangement, tout en étant prisonnier, j’avais conscience de ma situation. C’était un sentiment très mystérieux, dont la frustration de ne pouvoir y échapper montait en intensité à chaque nouvelle seconde de passée.

Ma situation présente était à l’image de ma vie. Je vivais ce rêve, ces images nocturnes avec force, comme si elles étaient réelles, je sentais son énergie dans tout mon corps, sans que puisse toutefois l’attraper et la comprendre. En outre, cette fois-ci c’était quelques peu différents. Je m’entendais respirer, je ressentais la froideur de l’air, l’immobilité de mon corps entier, je ne rêvais plus, et pourtant, je ne pouvais rien faire. L’esprit du rêve s’accrochait à moi, comme un enfant s’accroche à sa mère dans une étreinte jalouse et profonde.


Je me demandais ce qui se passerait si une personne avait l’idée de venir se baigner en cet instant. Surement que son corps introduit dans l’eau détruirait la barrière qui me retenait entre les deux mondes : La réalité et le rêve. Mais je doutais que cela ne se produise. En effet, peu de monde semblait profiter des lieux. Du moins, je n’avais vu personne. J’étais seul, seul dans cette irrémédiable immobilité. Dans cette solitude silencieuse, et longue, longue, si longue qu’on pouvait presque entendre les gouttes du sablier du temps tomber, tomber lourdement sur les secondes déjà écoulées ; rajoutant un poids de plus sur les premiers grains tombés, comme les jours courbent le dos de la vie. J’étais donc dans cette position hiératique. Je respirais, j’avais conscience, mais mon corps ne répondait plus. J’avais l’impression de me répéter. Comme si mon esprit tournait incessamment en boucle attendant que mon corps ne bouge d’un infime centimètre, d’un modique centimètre afin de pouvoir passer à autre chose. Mais ce petit mouvement, insignifiant, prenait son temps. Le mélange du rêve et de la réalité provoquait un arrêt du temps.

Soudain, une idée me vint à l’esprit. Mon cœur battait-il toujours ? Si oui à quelle vitesse ? J’essayais d’écouter. Le silence était encore plus pesant. L’angoisse à son paroxysme.

B…
Bou…
Boum…



Boum. Boum. Boum.
Boum. Boum. Boum.

C’était une mélodie lente. Une percussion qui s’amusait à prendre son temps, qui s’amusait à écouter les fragments imperceptibles qu’elle créait et qui s’évaporait. Des fragments imperceptibles, avec délicatesse, qui détonnaient dans tout mon corps. Il y en avait des milliers, des millions. Des petites vibrations contre ma peau. Il y en avait des milliers, des millions.

Ce rêve, pensais-je.
L’image d'un Vampire.
Léger mouvement de l’eau.
L’image d'un Vampire.
Mes jambes fourmillaient, des concentrations d’énergie, de colère.

Je bougeais. Je me sentais bouger. Mon cœur reprit un rythme normal. Je revenais à la réalité. Je quittais le plafond de superbe, pour me retrouver à le regarder des bains. Je bougeais la tête. Devant moi, des vitraux teints d’une couleur azur magnifique. Gisait, dessus, une sirène qui se lavait. Avait-elle assistée à mon moment d’absence ? Je ne le savais pas. Je n’allais pas lui demander. Je crois qu’elle ne m’aurait pas répondu de toute manière.

Je clignais des yeux. Je me les frottais d’une main engourdie. Je fis des battements de jambes pour chasser l’engourdissement. La chaleur me reprit, monta en moi, m’enveloppa d’une douce étreinte. M’enfonçant dans l’eau chaude, une larme perla au bord de mon œil, signe que mes sentiments perdus, éveillés par les images de ce rêve, d’une pénible mélancolique, suintaient à présent au bord de mon cœur.

Au petit matin, les pépiements de ses camarades de chambre sortirent Harel de son sommeil léger. Or, ces bruits là n'avaient rien de comparable à la douce mélodie produite par les oiseaux. Non, c'était un mélange désagréable de son aigue et de ricanements étouffés. D'une main, elle tira sa couverture sur son visage pour se préserver de ce désagrément, et tenter d'augmenter son capital sommeil d'une heure. Son première lieu ne débutait qu'en milieu de matinée, elle projetait, donc d'en profiter pour épancher sa fatigue accumulée suite à plusieurs nuits d'insomnie. Mais l'entreprise fut vaine. Un jour, elle trouverait le moyen d'endiguer ce flot de paroles discontinue de si bon matin. Si les neurones de ces jouvencelles pouvaient s'activaient autant que leur langue de vipère aucun doute que leur résultat scolaire démontrerait une nette amélioration.

Pour l'heure Chaitan ne put que s'extirper à regret de la chaleur de son lit pour voir Azael s'étirer paresseusement, avant de se réinstaller sur la place encore chaude. La vie de chat n'avait décidément rien n'à envier à celle des chiens.

Attrapant son costume d'étudiante déposé sur une chaise sur sa malle au pied de son lit, l'adolescente prit la direction de la salle de bain. Il ne lui fallut pas plus d'une poignée de minutes pour s'habiller, démêler ses longues mèches d'un coup de brosse, et se rincer le visage à l'eau froide pour chasser les dernière brumes du sommeil. En rejoignant la salle commune, son ouïe attrapa deux trois rumeurs à propos de la salle de bains des garçons qui piquèrent sa curiosité. Feignant de se préoccuper des documents accrochés sur le panneau d'affichage, l'asiatique continua d'écouter les conversations.

Un sourire vicieux étira ses lèvres pendant une fraction de secondes, puis son visage retrouva son masque d'indifférence. Son petit manège avait fonctionné. Elle regrettait que l'araignée fut aussi aisément mise hors d'état de nuire, en revanche, elle se consolait devant la crainte de certains étudiants à retourner dans la salle d'eau.

Des rumeurs sur la rencontre impromptue d'un spécimen arachnéen perdu, pour ne pas dire maintenu enfermé, dans la salle de bain des garçons, agrémentaient plusieurs conversations partagées entre inquiétude et humour. En outre, s'il existait un fond commun à l'anecdote, d'ailleurs cette définition ne satisfaisait pas son auteur qui ne visait pas ce résultat, ses reliefs variaient d'un groupe à l'autre.

Or, son orgueil souffrait de la réappropriation peu fidèle du méfait. Effectivement, on parlait hasard ou de l'intervention d'un étudiant complètement étranger à l'acte. Evidemment, Harel ne comptait pas étaler son implication, cela ne lui servirait à rien d'autre qu'attirer une attention suspicieuse, et sans nul doute une sanction. La discrétion lui permettrait de se préserver de l'une et l'autre. Néanmoins, sa fierté, grâcement entretenue, ne la quittait jamais, comme sa baguette depuis son acquisition sans quoi la jeune femme se sentait faible, vulnérable. De plus, elle ne voulait pas que l'on interprète cette initiative, certes discutable, à la légère. Son objectif premier étant bien de dissuader, certainement pas de ridiculiser qui que ce soit. Sans quoi, elle s'y serait pris autrement.

Repérant du coin de l'œil un étudiant qui fureté prés de la salle de bain, non pas avec l'attitude appropriée d'une personne qui s'apprêtait à pénétrer dans une salle d'eau, mais celle d'un conspirateur. Manifestement, il cherchait quelque chose avec au moins autant d'avidité qu'un rat qui fouillait une poubelle en quête de nourriture. Son nez fouineur avait repéré la délicate odeur du fromage, mais pas ses yeux. L'avantage des nuisible résidait dans leur comportement opportuniste permettant aux prédateurs patient de saisir sa chance. La démarche assurée, Chaitan se rapprocha du brun feignant la curiosité :

- Excuse-moi, as-tu perdu quelque chose ?

Harel estima que c'était un mal pour un bien, mieux valait un étudiant curieux plutôt que revanchard, le trait de caractère craignait moins pour son intégrité. Bien qu'il était peu judicieux de définir le sorcier sur le seul critère de sa robe, l'asiatique profita de l'échange pour le détailler. Un physique banale qui ne cachait rien de plus qu'une personnalité tout aussi banale. Il n'y avait là aucun jugement de valeur, simplement le constat que le jeune homme ne lui semblait pas démontrer une personnalité plus vicieuse que la moyenne, ni même plus manipulatrice. Sa manière de présenter la situation laisser à penser qu'il voulait seulement comprendre comment la dite bête avait réussit à s'introduire dans la salle de bain des garçons.

Finalement, peut-être était-il un peu plus fin que la moyenne. Plutôt que de bavasser sur le sujet sans rien produire de plus qu'un scénario toujours plus farfelu, il s'attachait à comprendre. Il devait être parvenu à la conclusion que l'acte n'était pas dû à une coïncidence, mais bien perpétré par un étudiant.

- Effectivement, l'information circule à travers toute la salle commune, et se déforme. J'ai entendu plusieurs versions différentes. Qu'était-ce comme bête ?

Son visage se pencha légèrement sur le côté curieuse de connaître la réponse, et ses perles ébènes s'amarrèrent à leur consœur d'une teinte similaire. Il était rare de rencontrer ces pupilles d'une couleur si particulière qui souvent mettait mal à l'aise, du fait de l'austérité naturelle qu'elle dégageait.

- Ca n'a effectivement rien à voir, comme tu le dis ce n'est que de la curiosité. Si tu veux mon avis, c'est une qualité sous-estimée. Mais, j'imagine que je ne t'apprends rien puisque toi-même tu en fais preuve.

Harel se retint de continuer en précisant : la curiosité est l'outils de l'intelligence. Cette envie insatiable d'en apprendre toujours plus, et de questionner chaque situation. Par chance, disposer de l'outils ne signifiait pas savoir s'en servir. Chaque sorcier était en capacité d'obtenir une baguette, pour autant, il ne s'en servait pas tous de la même manière ou plutôt avec le même talent. Dans le cas de Lunias, le talent faisait cruellement défaut.

Par ailleurs, il qualifiait l'acte de ridicule, mais ne ménageait pas ses efforts pour mettre la main sur son auteur. Qu'elle était la raison d'un tel acharnement ? Etait-il plus impliqué dans l'incident qu'il voulait bien l'admettre ? Le dos tourné au Serpentard, ses yeux se levèrent au ciel, puis ses jambes se déplièrent, et l'adolescente se tourna vers son camarade :

- Sceptique n'est pas le terme. Disons que je ne saisis pas bien pourquoi tant d'acharnement pour un acte que tu définit comme ridicule.

Observant, le jeune homme poursuivre son investigation, Chaitan s'adossa contre le mur, lassée de chercher une preuve qui n'existait pas. Il lui avait fallu peu de moyen pour réaliser son méfait, de ce fait, masquer les preuves n'avaient pas représenté de difficulté particulière.