Les mots s'extirpaient peu de ce silence pesant bien propre à la foule, d'un ennui.
Le papier le disait. C'était écrit en lettres muettes. Maman n'existait plus. Elle avait disparu au beau milieu de toute cette paperasse, au hasard de souvenirs annihilés. On lui avait dit que des années auparavant, le nom avait été effacé. A la demande de quelqu'un.
Ça ne l'étonnait plus vraiment. Plus rien ne l'étonnait lorsqu'il s'agissait de famille. Aujourd'hui, il ne s'agissait pas de se demander pourquoi. Il fallait prendre le temps de digérer la nouvelle. Peut-être aussi de chercher les significations lointaines.
Prendre sur soi.

Le parchemin ne se décomposait pas. Ne prenait même pas l'eau. Il avait été enchanté pour ne pas disparaître comme ça. Pour garder trace de cette réalité finalement peu surprenante. On ne s'y habituait pas.
Rien n'y faisait.
Aya fixa encore quelques instants l'imperméabilité de la nouvelle. La vilaine sensation lui remonta à la gorge. L'amertume. A défaut de laisser les yeux pleurer, l'oesophage se chargeait de la peine.

C'était dur à contenir, le mélange de sensations remontait. Laisser au fiel le soin d'expliquer le supplice bien échafaudé. Elle préférait encore gerber sa peine que de se montrer en proie aux larmes.
- Pardon—
Les dernières syllabes s'échappèrent en un son rauque. Non, la robe de la sorcière à côté n'avait pas pris le venin. C'était juste le sol, sous une Aya accroupie, aux doigts souillés pour mieux contenir la gêne. Fallait vraiment régler ces aigreurs stomacales.

C'était légèrement horrible. Ces yeux braqués sur elle. Cette impression d'avoir fait quelque chose de mal, d'avoir fauté malgré elle. Tout ça parce que contenir était toujours aussi difficile. Tout ça parce qu'essayer de ravaler ses pensées tièdes demeurait impossible. Ce n'était pas son lot, d'oublier. Elle devait apprendre à vivre avec.
A côté d'elle, on réagit. Une jeune femme, dont elle n'avait qu'entrevu le visage se chargea de nettoyer ce qu'elle avait laissé. Quelle horreur, songea-t-elle, yeux rivés sur le sol. Sa main glissa autour de ses genoux, ses ongles mi-longs frôlant le tissu de ses collants à pois. Elle n'était même pas foutu de nettoyer sous son passage.
- Oui... C'est sorti.
Un rire, un peu gêné, s'échappa d'entre ses lèvres. Son front habillé d'une mèche rebelle rencontra ses genoux, Aya maugréa à son propos.
- Merci... Pour le nettoyage.
Un instant, une profonde respiration et ses grands yeux gris se décidèrent à faire face à sa compagnie. Une autre, une entité de son âge dont elle ne reconnaissait pas le visage. Les mirettes sourirent malgré elles. C'était drôle, bizarre de voir qu'on pouvait toujours se faire aider. Sa main agrippa le rebord de la fontaine pour l'aider à se relever et elle remis vaguement sa jupe en place sur ses gambettes habillées.
- Un Oubliettes. Un Oubliettes serait pas mal, je dois l'avouer.
Le rire triste percuta ses lèvres comme un couperet, lui arrachant une mine déconfite. Elle vérifia d'un geste que son petit sac était encore là, sa baguette aussi. Pas complètement perdue non plus.

Hausser les épaules, détourner la tête dans un rire las. Pas qu'un peu. Une lassitude pourtant étrangère qui ne lui ressemblait pas. Elle préférait montrer les crocs face à l'adversité.
Tout ne se déroulait pas vraiment comme elle le souhaitait. Pire encore, tout se démantelait. Un peu comme l'univers en fait, mais en pire. Des tissus de mensonge qu'on arrachait tranquillement en lambeaux, lambeaux de moi, de nous, lambeaux de peau. Fallait-il s'excuser, encore ? Elle ne savait pas. Sa main occupée rangea sa baguette quelque part sur elle. Le temps de reprendre ses esprits. De reprendre un tant soit peu de contenance. Elle venait de rendre ses tripes au milieu d'un hall bondé et une Inconnue avait décidé de nettoyer sous son passage. C'était triste à mourir. Pire, triste à pleurer.
- Je vous offre un café, un remontant, un verre ? Pour la peine.
Laissez-la. Oui, faire semblant d'avoir envie de parler. Eventuellement se reposer sur quelqu'un. Rien qu'un instant. C'était une alternative agréable. Presque comme un doux songe qu'on ne voulait quitter.
Finalement, ne pas avoir de mère subjuguait l'âme. Venions-nous de nulle part ? Venions-nous d'un Ailleurs qui ne ressemblait en rien à cet Ici ? Cet Ici qu'on préférait oublier.
- Faisons comme si nier les choses équivalait à les oublier.
C'était lâche. Mais si bon de dégager les idées.

Dans son bureau. La phrase la braqua, instantanément. Dans son bureau. Alors, elle bossait ici ? Le ridicule s'extirpa de ses lèvres en un sourire qui s'émietta rapidement. L'idée n'était plus de montrer à cet instant. Encore moins de fuir, étrangement.
Mais tout sauf ici. S'il vous plaît. Les yeux le crièrent, en proie à trouver l'emplacement du bureau à travers les murs. Pas ce lieu d'oppression thoracique. Son regard se porta instantanément sur l'insigne. Un réflexe pur. Un peu comme si elle le savait.

Elle n'avait pourtant jamais eu affaire aux Aurors. C'était pas comme si elle cherchait absolument à les éviter non plus. Extérieurement, elle n'avait rien à se reprocher. Intérieurement, c'était une autre histoire.
Des comptes à régler, bien en privé.

- J'ai une autre idée. Si vous permettez.
S'en sortir. Surtout, sortir d'ici. Y avait pas le choix. Tout l'étouffait, ici. De la simple idée du morceau de papier, au contexte tout entier.
- Une petite halte au Chaudron Baveur, ça vous tente ? Enfin, si je n'interfère pas avec votre travail.
On espérait surtout qu'elle dise oui, et qu'on s'en aille. Vite, d'ici.

Des journées creuses, ou encore bien trop remplies. Voilà en quoi consistait le quotidien lugubre de Rita Belvedere. Tout dépendait de ce qu'il y avait à faire, de ce que sa supérieure hiérarchique voulait bien lui donner comme missions hebdomadaires. En somme, tout dépendait des autres. Elle ne faisait que suivre. Un quotidien bien barbant.
En bossant au Ministère, Rita s'imaginait plein de choses. Sauf le fait de bosser pour un ou une autre. Elle voulait son bureau pour elle toute seule. Ses propres subordonnés. Résultat, elle se coltinait parfois un stagiaire à former rapidement. Ou un dossier à rendre dans des délais improbables. Voilà ses plus grandes responsabilités.

Non, Rita avait de bien plus larges ambitions que de rester simple secrétaire de Mrs. Stewart. Déjà, la remplacer un jour. Une base plutôt intéressante, afin d'entamer une ascension fulgurante au Ministère. Pour le moment, elle ne pouvait pas se plaindre. L'emploi du temps chargé de sa supérieure hiérarchique lui permettait parfois de la remplacer pour des cas intéressants. Tel était celui de Miss Bennet. Qui avait décidé de repasser ses ASPIC.
Bien sûr, Rita savait qu'on ne repassait pas ses ASPIC comme ça. La jeune femme devait avoir de bonnes raisons de ne pas l'avoir passé. Et surtout des bonnes raisons de le repasser aujourd'hui. Tout en laissant sa plume lui chatouiller le menton, Rita songea aux différentes questions qu'elle poserait à la jeune femme. De questions pièges en véritables interrogations. Le but était avant tout de la tester. Voir ce qui répondait exactement chez la non-diplômée.

On toqua à la porte, et Rita ne leva pas le nez de ses parchemins. Pourtant, sa voix suraiguë fusa :
- Entrez.

Toutes mes excuses pour cet horrible retard. Cela ne se reproduira pas.

Well, well, well. Rita se caressa machinalement le menton de sa main libre et jaugea la jeune femme qui avait pénétré son bureau. Une drôle de dégaine, qui avait pourtant l'air soignée aujourd'hui. Et un drôle d'air sur ce visage qui avait perdu son aspect juvénile d'années passées à Poudlard. Ça, c'était l'air de la ville certainement. Et les marques du temps qui passait. Certes, Miss Bennet était certainement bien plus jeune qu'elle. Mais Rita sentait que plein de choses avaient du marquer son existence.

Dans tous les cas, elle s'en fichait. Même si la première impression était souvent trompeuse, Rita s'en moquait pas mal. Elle, elle était là pour juger ses motivations. Alors des probabilités en matière de premières impressions, elle n'en faisait pas. Dans toute cette histoire, elle était et demeurait seule et unique juge. Peut-être celle qui lui faisait face aller en payer les frais. Ou pas. Mais cette histoire d'ASPIC intriguait fortement la secrétaire.
- Installez-vous, lança-t-elle en désignant la chaise plantée en face de son bureau d'un geste délicat de la main.

Ses longs doigts lâchèrent sa plume et elle s'installa plus confortablement dans son fauteuil, les jambes croisées. Ses mains se posèrent ensuite délicatement sur l'un de ses genoux, habillé de bas bon marché qui juraient drôlement avec sa tenue de tailleur en tissu rêche, couleur pêche.
- Drôle de demande que vous nous faites là, Miss Bennet, entama-t-elle d'une voix sucrée.
Derrière ses lunettes, Miss Belvedere se réjouissait. Qu'allait-elle bien pouvoir raconter ? Comment pouvait-on ne pas passer ses ASPIC ? Les louper, certes, pourquoi pas. Tout le monde n'était pas doté des mêmes capacités. Mais ne pas les passer du tout !
- Je vous sers quelque chose à boire ? Du thé ?
Rita n'attendit pas de réponse et fit valser dans les airs, à l'aide de sa baguette magique, deux tasses en porcelaine anglaise, avec soucoupes assorties, ainsi que deux théières individuelles. Elle tourna vers son rendez-vous la boîte à thé disposée dans un coin de son bureau, lui laissant le soin de choisir.
Prendre un thé avec quelqu'un faisait toujours son petit effet. Si l'alcool déliait les langues, plantes et fleurs infusées, elles, mettaient rapidement en confiance.

On ne pouvait reprocher à Rita son sens de la conversation. Être fonctionnaire, travailler pour une si grande entreprise que le Ministère de la Magie lui avait permis d'en savoir bien plus sur les gens que n'importe qui. Et surtout, de savoir comment soutirer des gens les informations dont elle avait besoin. Il était peu dire que partager des ragots était tel un échange de politesse, dans les bureaux. On ne discutait pas forcément du temps, mais bien d'autres choses.
Mademoiselle Bennet avait donc été incarcéré. Rita aurait pu se fendre la poire, d'avoir une ancienne détenue d'Azkaban en face d'elle, toute disposée à repasser ses ASPIC et ainsi rentrer dans le moule, en quelque sorte. Comme pour bon nombre de fonctionnaires, Rita voyait les anciens résidents d'Azkaban comme des perdus. Peut-être des moins que rien, finalement. Elle n'y pouvait pas grand chose. Se sortir les doigts d'on ne savait où pour changer, élargir son point de vue, ça n'était pas son truc. Comment élargir ses horizons dans un bureau de moins de 10m² ?
- Incarcérée, vraiment ?
Sa voix de crécelle perça l'air, coupant la jeune femme qui n'en demeura pas moins et continua cependant à parler. Rita savait que son air affligé, la courbe étonnée de ses sourcils, comme posés sur son front au fusain, faisait parfois peur à ses visiteurs. Principalement parce qu'elle était chargée, en général, d'annoncer échecs et refus. Les félicitations, elle, elle pouvait se les coller au... Enfin bref. Elle lâcha, non sans délicatesse, la tasse dont elle s'efforçait de touiller le breuvage, et nota l'information sur un petit parchemin. Ce n'était pas comme si elle n'avait pas épluché les infos que possédait le Ministère à propos de ladite Bennet. Mais il fallait bien jouer le jeu.
- Et comment gagnez-vous cette vie que vous souhaitez honnête, Miss Bennet ?