Belle, belle journée. Sous un ciel aux teintes hivernales. Emmitouflée dans mon manteau, je quitte Poudlard. Je profite d’une demie-journée de battement pour me rendre aux Trois Balais. J’ai quelqu’un à aller voir, et je suis sûre qu’il est aux 3B. Elias a fait son nid là-bas, pour le meilleur (et non pour le pire). Je suis sûre qu’il va de mieux en mieux depuis qu’il commence à se reconnecter doucement avec le monde sorcier. L’avoir engagé au bar est un des meilleurs choix que j’ai fait. D’abord pour lui : ça lui permet de voir du monde, voir des sorciers et sorcières, échanger, apprendre à réapprivoiser cette société. Je suis persuadée que le contact, c’est ce qu’il y a de mieux pour lui. Et ensuite pour moi, pour les 3B, parce qu’il faut avouer, il est top à son poste.
Sautillante, guillerette, je travers les rues de Pré-au-lard.
Aujourd'hui est une belle journée. J’ai même une surprise pour le Mokeur. J’ai profité de ma nuit presque blanche -comme beaucoup de mes nuits- pour la préparer. La sculpter. Je suis certaine qu’il sera heureux.

J’aperçois la devanture des 3B au loin. Ce matin, c’est fermé. C’était prévu comme ça. Je contourne donc le bâtiment pour trouver l’entrée de service. La porte est ouverte. Je n’ai qu’à la pousser et ça roule tout seul.

-Coucouuuuuu ! je lance en arrivant.

Il fait bon ici. Mes joues, rosies par le frais du dehors, apprécient cette douce chaleur. Je retire mon manteau, le secoue un peu -alors qu’il n’a même pas de neige dessus. Il ne neige pas. La faute au réchauffement climatique ? Puis je le pose sur le dossier d’une chaise.
Des bruits proviennent de la cuisine.
Je m’y glisse et découvre Elias, en pleine activité. Il s’anime, entre casseroles et ingrédients divers.

-Ouh bah, tu ne chômes pas, toi ! C’est quoi les plans aujourd'hui ?

Tout à coup, avant même qu’il n’ait pu répondre, je lève un indexe, en un geste impérieux pour l’interrompre :

-Ah, attends, avant, j’ai un truc pour toi. Et une proposition.

Je fouille dans mon sac, tandis que je poursuis :

-T’sais, Arty, il est parti. J’sais pas pourquoi il trouve le Ministère plus cool que nous, m’enfin, je suis contente pour lui quand même. Et du couuuup... Est-ce que tu as envie de prendre son poste de gérant ? La responsabilité du bar t’incombera, ce sera vraiment ton chez-toi, encore plus qu’avant !

Ah, ça y est, j’ai trouvé mon cadeau.

-Et si tu hésites encore, tiens, tada, voilà pour toi !

Je brandis sous les yeux du Mokeur une spatule en bois, semblable à celle offerte à Arty lorsqu’il est devenu gérant. Sauf que sur celle-ci, il n’y a pas de ruban violet à paillettes. Et au lieu d’avoir écrit "Arty" sur le manche, j’y ai sculpté les lettres de "Mokeur Elias". Avec, sur le dos de la spatule, un vague dessin censé être un Moke.

-La spatule du chef. Qui sert à tout à tout à tout. Cuisiner, diriger un orchestre, frapper les pas sages, démêler tes cheveux, taper sur le comptoir pour ramener l’ordre... Alors, qu’en dis-tu ?

Tant d’émotions dans l’air. Dans les yeux du Mokeur, lorsqu’il regarde la spatule que je lui présente, comme si elle était le présent le plus précieux de ce monde. Instinctif et spontané, comme le Mokeur que je connais, il me prend dans ses bras, accompagné d’un TROP COOL ! venu du fond du coeur.
Je referme l'embrassade en tapotant son dos amicalement. Et je me sens rassurée lorsqu'il dit accepter le poste. Ouuuf. Premièrement, ça m'évitera d'avoir à chercher un-e gérant- et d'avoir à naviguer dangereusement entre Poudlard et le bar pour les prochains mois. Et, surtout, je sais que je laisse les 3B entre de bonnes mains. De trrrrès bonnes mains. Parce que le Mokeur, of course, il s'en sortira à merveille.
Levant le pouce en l'air, en guise d'encouragement, je lui réponds :

-Oh yeeeah, j'suis sûre tu vas le diriger à merveille, cet orchestre ! Tu as toute ma confiance.

Avec extase, je le regarde virevolter avec son nouveau sceptre. Tel un roi dans son costume de super gérant. Excitée, je sautille sur place toute en applaudissant. Oui, c'est sûr, les Trois Balais sont entre de bonnes mains.

-Viiii, je m'exclame en réponse, c'est moi qui ai sculpté ton nom. Et le p'tit Moke, là, c'est Klaus, mais bon, il lui ressemble pas trop.

Je penche un peu la tête en me rapprochant, pour voir la spatule de plus près. Puis je finis par hausser les épaules. L'important, c'est qu'il sache que c'est Klaus. Toutes façons, c'est sa spatule à lui. Ce que peuvent en penser et en dire les autres, quelle importance ?
Mon regard est soudainement attiré par du mouvement en cuisines. Qui ne vient pas d'Elias mais de ce qu'il mijote. La mousse grandit, déborde, envoie des signaux. V'là que le nouveau gérant en herbe se précipite, pour reprendre ses expériences culinaires là où il les a laissées.
Tout à coup, l'Elias tend la main et...
Les figues viennent à lui !
Mes yeux se mettent à briller. Des milliers d'étoiles dedans. Et un waaaaaah s'échappe de mes lèvres. Elias semble fier de lui. Et il a raison. Quels progrès ! Je me rappelle qu'il voulait s'intéresser à la manumagie mais, ne connaissant rien dans le domaine, je l'ai aiguillé vers Lizzie. Apparemment, ça a eu un sacré résultat.

-Diiiis donc ! C'est incroyable, ça ! Je savais pas que tu en étais à ce niveau.

Je prends sa main dans la mienne, la regarde, la retourne, l'observe, comme si elle pouvait délivrer le secret de la manumagie.

-C'est du sacré progrès, toi qui a encore du mal avec ta baguette. Tu sais faire quoi d'autre avec la manumagie ?

Sourire de la petite fille en attente. Attente du pestacle de magie.Mesdames et messieurs, accrochez-vous bien ! Elias Baxter va éblouir vos mirettes !

Frémissante, j’attends. Elias use de sa spatule comme d’un métronome, battant la mesure de sa réflexion. Il répète la question : que sait-il faire d’autre ? Comme un comédien ménageant son suspense, il amorce petit à petit la démonstration.
Je mordille ma lèvre inférieure tandis que je souris. Hâte de voir ce qu’il nous réserve ! Mains jointes, je fais s’entrechoquer mes doigts, en un petit applaudissement discret et surexcité.
Le Mokeur prend très à cœur son rôle de clou du spectacle. Il annonce la couleur, le côté époustouflant du numéro. Je l’encourage d’un hochement de tête répété. Et pour mieux m’installer, je me dégage même un petit carré sur le plan de travail, histoire d’y poser mes fesses. Jambes croisées, qui s’agitent dans le vide, je fixe la porte précédemment verrouillée par les bons soins d’Elias.
Celui-ci se concentre. La main en position.
Et la formule ! Enfin prononcer ! La tension est à son cooooomble !

…

Rien ne se passe. Le Mokeur semble un peu déconfit mais se rattrape. C’était pour le suspense. Of course, que je dis. Même pas d’un ton ironique ou moqueur. Un ton sincère, encourageant. Les spectateurs ne lui tiendront pas rigueur de ce manque de résultat.
Et déjà, Elias repart à l’ascension du mont Réussite. J’imagine qu’il doit être en train d’appeler à lui et de réunir toute sa concentration, toute sa magie. Pour, cette fois-ci, apporter un résultat positif à la démonstration.
Ce qui lui réussit !
La porte se déverrouille en un bruit caractéristique. Et je lance un YEEEEAH! toute en levant mes poings en l’air, pour célébrer sa victoire.
Bonne spectatrice que je suis, j’applaudis le numéro. Bravo, bravo, du grand art !
Mais l’Elias n’a pas le temps de chômer. Avec tout ça, on en avait un peu oublié l’atelier culinaire qui se déroule ici. Le voilà qui se précipite pour rattraper la catastrophe. Je tourne le cou vers lui et l’observe sauver ses chips. Une petite odeur de cramé flotte dans l’air. Mais la majorité du plat a l’air encore intact. Ouuuf. On a échappé au pire. Heureusement qu’il réagit vite, le Mokeur.
Je saute du plan de travail et le rejoins. Je le regarde un temps. Des gestes parfois un peu désordonné, comme lorsqu’on se remet d’un effort et qu’on n’a pas encore totalement recouvert l’entière maîtrise de son corps. Malgré tout, il s’en sort très bien.
Puis tout à coup, il me pose une question. Qui me fait lever un sourcil.
Je laisse passer un petit silence, empli de réflexion. Bien sûr, j’ai déjà pensé à la manumagie. Mais je n’ai jamais essayé de concrétiser, chercher à m’informer plus, à apprendre. Et puis-je lui dire, lui raconter, pourquoi la manumagie ?
Un temps, encore.
Et enfin.

-Ouais, un peu, des fois.

Je vais m’appuyer contre un pan du plan de travail qu’il n’utilise pas, histoire de ne pas le gêner.

-J’peux te confier un truc ? Y’a... un petit moment... je... j’ai été "enlevée".

Pause.
Je sais que je peux faire confiance à l’Elias.
J’ai envie de lui faire confiance.
Et raconter ce que je n’ai jamais pu raconter à personne. Tout du moins, une partie de ce récit.

-Est-ce que tu te rappelles, c’est un peu nawak des fois dans ce pays, la politique. Y’a des Aurors, y’a des groupuscules reconstitués... Tu sais, Ordre du Phénix, Mangemorts... c’est dans ce contexte-là. J’ai été enlevée par deux membres de l’Ordre du Phénix. Et... évidemment, précautions obligent, j’ai été désarmée dès le début.

Je croise les bras sur ma poitrine. Je mordille ma joue intérieurement.

-Ca m’a un peu... pas traumatisée, mais laissé des marques. Pendant un temps après ça, je n’ai pas arrêté de me balader avec un poignard à la ceinture. J’ai même acheté un super fourreau à Lizzie, elle a fait un travail remarquable avec des poils de demiguise pour que tout ça soit invisible. C’est à cette période, j’ai pensé à la manumagie. Avec l’idée que... que je ne me laisserai plus jamais avoir comme ça.

Petit haussement d’épaules et un sourire semi-triste, semi-résigné.

-Y’a rien de plus terrible que de se sentir complètement impuissante. Ou dépassée.

Et pourtant, je m’en suis bien sortie. Je suis persuadée que Rachel a monté le coup, mais a manqué de volonté. Elle n’a pas pu se résoudre à réellement mener un interrogatoire. Pourtant, plus que jamais après ça, je l’ai haïe de toutes mes forces.

Le silence du Mokeur qui accompagne mon récit. Je lui suis reconnaissante d’écouter sans rien dire. Rien juger. Du moins, pas par la parole.
La fumée s’élève.
Il coupe le feu.
Brutalité du geste.
Je sens que ce que je raconte ne le laisse pas de marbre. Insensible. Au contraire. Il se tait mais n’en pense pas moins. Ca semble bouillonner au fond de ses veines. Il finit par se pincer l’arête du nez. J’entends sa respiration, prise profondément. Grognement. Il paraît avoir du mal à réaliser -ou avaler- ce que j’ai dit. Comme si... c’était trop irréel. A sa place, moi aussi, j’aurais du mal. En fait, je n’avais jamais imaginé que ça puisse m’arriver un jour. Jusqu’au moment où... Je n’aurais jamais pu imaginer que Rachel en arrive jusque-là. Nous nous sommes profondément disputées. Nous ne nous sommes plus parlées. Nous avons eu du mal à accepter nos divergences. Mais jamais je ne l’ai livrée. Du moins, pas avant ça.
J’ai un maigre sourire quand Elias balaie tout ça : c’est du passé, comme il dit.
J’aimerais le serrer contre moi, Mokeur, ami, si plaisant de savoir qu’il est là.
Je finis par avancer vers lui alors qu’il brandit un pilon, l’air menaçant. Doucement, je pose une main sur la sienne et le pousse à l’abaisser. Un regard : t’en fais pas. Ce n’est rien. Ce n’est plus rien. J’ai survécu, tu sais. Je suis vivante. Alors. Ca va.
Il se résigne.
Ma main s’éloigne quand il pose le pilon dans la poêle et croise les bras. Je recule d’un petit pas. Pour lui laisser de l’espace. Son espace.
Et soudainement, le ton change. Le visage aussi : il s’éclaire. L’enthousiasme succède à l’accès de fureur. En miroir à lui, mon visage aussi s’éclaire. Quand j’entends sa proposition. Un peu de rouge sur les joues, à l’entente du compliment toi t'es déjà une super sorcière. Enfin, n'exagérons rien.
Je reprends ses mains dans les miennes. Les serre. Le sourire qui est venu chasser la douleur du souvenir précédemment évoqué.

-Vraiment, tu m'aiderais ?

Question rhétorique, en soi. Parce que je sais qu'il est sérieux. Elias est toujours prêt à aider. Il a un grand coeur, le Mokeur. Je suis heureuse de le compter comme ami.

-Oh oui, passer encore plus de temps ensemble, je reprends, ça me ferait très plaisir. T'es parti pendant un moment à l'autre bout de la terre, on a du temps à rattraper !

Et puis, surtout, je pense que ça peut lui faire du bien, qu'on passe du temps ensemble. Dans son état (bien que s'améliorant), être seul ne l'aide sans doute pas. Et puis, apprendre de lui, lui faire réaliser à quel point il peut, lui donner confiance en lui. Parce qu'il est un sorcier, au même titre que nous tous. Et pas n'importe lequel, puisqu'il a réussi à maîtriser le difficile art de la manumagie. Je ne suis d'ailleurs pas certaine d'y arriver. Mais. Qui tente rien n'a rien, n'est-ce pas !

-On commence quand ? Par quoi ? Comment ?

C'est que, je n'y connais pas grand-chose, dans le domaine, moi. Va falloir tout m'expliquer. Depuis le début.

Le début. Commencer par le début, qu’il a dit, l’Elias. Et je ne peux qu’être d’accord avec lui. Lorsqu’on ne connaît vraiment rien dans un domaine, commencer par le milieu -voire pire : la fin- est un peu useless.
Disant cela, il repart vers sa popote. Alors j’en profite pour reprendre ma place sur un bout de plan de travail libre. Je me hisse dessus et, assise, je le regarde terminer son ouvrage. Je hoche vigoureusement la tête, lorsqu’il évoque la théorie avant la pratique. Très bonne idée. Autant appréhender dans un premier lieu l’objet, avant de voir comment réussir à en faire usage.
Il fait une petite pause pour me présenter son nouveau plat. Qui sent délicieusement bon. J’applaudis de bon cœur :

-On aura droit de goûter, hein ? je m’enquiers , curieuse, les papilles gustatives aux aguets.

Parenthèse culinaire faite, Elias arbore l’air du bon vrai prof, mains sur les hanches, et se lance dans la théorie. A mesure qu’il parle, je plisse un peu les yeux, sourcils froncés, l’air concentré. J’assimile petit à petit ce qu’il m’explique. C’est un quotidien, la manumagie. C’est de la pratique, tout le temps. C’est un contrôle de soi et de son esprit, qu’il dit. Bon, pour ce dernier point, je ne suis pas trop mauvaise. J’arrive à contrôler mon esprit assez bien pour ne pas trop mal me débrouiller en occlumancie. Je me rappelle du long entraînement et contrôle de soi qu’il m’a fallu acquérir pour ça.
Je hoche la tête :

-Oui, je comprends. Contrôler son esprit, c’est l’élément clé de l’occlumancie. Du coup ça, je connais un peu. Mais comme tu dis, tout est dans l’entraînement, la répétition, encore et encore.

Un petit silence. Plein de réflexion. Puis mon visage s’éclaire et, d’un air combatif, je serre mon poing devant Elias :

-Mais j’vais m’accrocher ! Ca ne me fait pas peur ! Comment t’as commencé, toi ?