À Archibald Janaster et Elias Baxter,

    L’agresseur d’Adonis semblait visiblement gêné. Il regardait le jeune homme d’un regard profond.

   - Oui, excusez moi, dit-il, j'ai lancé ma gomme trop fort contre ma table et elle a rebondi. Ce n'était pas intentionnel, c'est juste que je commençais à m'énerver de ne pas être capable de dessiner quelque chose de potable.

   Pas intentionnel ? Heureusement ! Adonis n’aimait pas les conflits et ne répondait généralement pas à la provoc mais tout de même, il ne valait mieux pas lui chercher des noises. D'un geste de la main, l'homme montra sa feuille noircie de gribouillis. Effectivement, cela devait faire un bon moment qu’il s’acharnait sur cette pauvre feuille. Lui et Adonis avait une vision bien différente de l’art. Les croquis du garçon étaient si propres et travaillés. Ceux de l’inconnu étaient disons… différents. Le garçon leva un sourcil.  

   - Pour me faire pardonner, continua l’homme, laissez moi vous offrir un verre, ou une tasse.

   Au moins, son agresseur semblait avoir une bonne éducation. Une tentative de meurtre méritait au moins un verre. Adonis posa la gomme. Il n’était pas contre un verre. Il avait fini le sien depuis plusieurs heures.

   - J’accepte avec plaisir, répondit Adonis, se détendant un peu. Promettez-moi simplement que je ne risque rien. Je compte sortir d’ici entier, vous comprenez bien.

   L’homme lui souriait à travers sa barbe épaisse. Il ne semblait pas avoir de mauvaises intentions, bien au contraire. Sa proposition était visiblement tout à fait sincère.

   - Monsieur a déjà pris sa commande plus tôt, mais j'ai oublié de venir demander la vôtre. Qu'est-ce qui vous ferais plaisir ?

   Comme une véritable invocation, le serveur du bar venait d’apparaître aux côtés d’Adonis, armé d’un papier et d’un stylo. Le blondinet était tellement concentré sur l’artiste aux gribouillis qu’il ne l’avait même pas entendu approcher. Son agresseur et lui étaient en pleine discussion, le serveur aurait pu attendre quelques instants avant de se manifester mais soit. Adonis pivota la tête.

   - Je ne connais que trop peu votre carte, dit-il, vous m’en voyez désolé. Auriez-vous quelque chose à base de fruit, sans alcool, s’il vous plaît ? Peu importe le fruit, je ne suis pas difficile, j’aimerais seulement quelque chose de frais. Je vous remercie.

Elias & Winniemae

À Archibald Janaster,

   Le serveur réfléchit quelques secondes à la demande d’Adonis avant de s’exclamer avec un grand sourire :

   - Aaaaah, laissez moi donc vous faire découvrir un cocktail de notre collection. Je vais vous préparer un Lisounours ! Il est à base de pomme, de citron et d'ailes de fée, vous verrez vous ne serez pas déçu !

   Sur ces mots, il disparut derrière son comptoir. Adonis ne connaissait absolument pas ce cocktail mais la description qu’en faisait le serveur n’était pas pour lui déplaire. Bien qu’il fasse bon à l’intérieur du bar, une boisson fraîche n’était pas de refus. Quelques secondes plus tard, le serveur revint avec un verre qu’il déposa avec grande délicatesse devant Adonis.

   - Le Lisounours dans toute sa splendeur, ajouta-t-il. A déguster sans modération !

   Adonis remercia l’homme et saisit son cocktail. Il brillait comme s’il était composé de dizaines de minuscules cristaux. Les violettes cristallisées de-ci, de-là et les ailes de fées n’y étaient sans doute pas pour rien.

  - Je vous remercie également pour ce verre, adressa Adonis à l’homme à la barbe. Vous n’étiez pas obligé de m’inviter.

   Ce dernier avait décalé ses affaires, invitant le garçon à sa table. Adonis ne se fit pas prier. Il s’empressa de récupérer ses affaires à son ancienne table, les glissa délicatement dans son sac et revint s’asseoir devant son verre. Quand il prit place, l’homme se trouvait au bar, sans doute pour régler sa note. Adonis en profita pour goûter son cocktail. Délicatement, il porta le verre à sa bouche et but quelques gorgées. Le serveur n’avait pas menti. C’était un cocktail simple mais assurément efficace. Frais comme il fallait, la pomme et le citron s’y mariaient parfaitement, associés aux cristaux et aux ailes de fées donnant un peu de texture au tout. Le garçon en but davantage. Il sentait le sucre crépiter dans sa bouche. Après quelques minutes, l’homme revint du bar pour se rasseoir à sa place. Adonis posa son verre.

   - Alors comme ça, vous dessinez ? lui demanda le garçon en souriant. Visiblement, vous mettez du cœur à l’ouvrage, c’est le moins que l’on puisse dire ! Puis-je vous demander ce que vous vouliez représenter ? Je dessine moi aussi à mes heures perdues voyez-vous.

   Le garçon reprit une gorgée de cocktail mais alors qu’il avalait le breuvage sucré, il s’arrêta net. Il posa rapidement son verre et s’exclama :

   - Je manque à mes devoirs, je ne me suis pas présenté !

   Il plongea alors son regard bleuté dans celui de son interlocuteur, tendit sa main dans sa direction et conclut :

   - Je m’appelle Adonis, enchanté.

À Archibald Janaster,

   Il s’appelait donc Archibald. Voilà un bon moment qu’Adonis n’avait pas rencontré quelqu’un. D’ordre général, il ne cherchait que trop peu le contact avec d’autres personnes. Déjà à Poudlard il était plutôt solitaire. En même temps, peu de personne osait l’approcher. Il le savait, il dégageait quelque chose de mystique, quelque chose d'hypnotisant depuis toujours. A l’époque déjà, il les voyait bien tous ces gens qui parlaient sur lui, qui le regardaient étrangement, qui le dévisageaient lorsqu’il passait dans la Grande Salle ou dans les couloirs. Il avait tant senti ce silence, presque immédiat, qui régnait dans les salles de classes lorsqu’il prenait la parole pour répondre aux questions d’un enseignant. Avec l’âge, ces situations étranges s’était petit à petit atténuées. Adonis n’avait pas changé, seulement, les personnes qu’il se devait de fréquenter se montraient désormais plus discrètes et gardaient pour elles leurs regards déplacés. Elles essayaient du moins.

   - Mais, dites moi, que dessiniez vous ? Je veux dire avant que je ne vous attaque sauvagement avec ma gomme.

   - Ne vous en faites pas pour cela, répondit Adonis. C’était un accident, vous êtes entièrement pardonné.

   Avec délicatesse, le garçon plongea alors ses mains dans son sac et en ressortit les croquis qu’il avait fait depuis qu’il était arrivé aux Trois Balais. Il n’en était pas peu fier.

   - Je dessine depuis des années, dit-il. Ce sont des souvenirs de voyage, pour la plupart. Disons que je pose les plus importants sur papier.

   Sur le premier croquis, était représenté un Eruptif qu’Adonis avait eu la chance de côtoyer quelques temps dans la savane africaine. Cela lui avait coûté sa baguette et presque sa vie mais hormis cela, le garçon en gardait un bon souvenir. C’était une créature exceptionnelle dont Adonis avait très bien su représenté la puissance, jouant entre ombres et lumières.

   -  Mon père est magizoologiste, continua-t-il. Je pense que j’ai hérité de son amour des créatures sans aucun doute.

   Il saisit le deuxième croquis. C’était celui du Focifère qu’il n’avait pas encore terminé. Il manquait quelques coups de crayon bien placés pour lui donner plus de relief, le rendre plus réel.

   - J’ai croisé ce Focifère dans un jungle africaine il y a quelques années. Incroyable cette créature… Méfiez-vous de son cri cependant si un jour vous en croisez un… A l'avenir, j’aimerais écrire un livre pour retranscrire tout ce que j’ai appris sur toutes ses créatures mais il m’en reste tant à découvrir. Une de mes prochaines étapes serait de retourner à Poudlard pour y étudier les espèces du Lac Noir malheureusement je ne sais pas trop qui contacter, je ne sais même pas si mes enseignants de l’époque y travaillent encore… En connaîtriez-vous par pur hasard ?

À Archibald Janaster,

   - Un professeur de Poudlard, vous plaisantez ? Quelle était la probabilité de tomber sur vous.

   Adonis n’en revenait pas. Ce coup de gomme n’avait peut être pas que des points négatifs. Si Adonis pouvait y gagner plus qu’un verre, il n’allait pas se faire prier. Entrer dans Poudlard, même pour y effectuer des recherches, n’était pas chose aisée. D’autant plus en cette période qui n’était pas des plus calmes.

   - Si vous proposez votre aide, je me vois mal la refuser, reprit Adonis. Pensez-vous qu’il faille que je contacte quelqu’un en particulier ? Le directeur actuel peut être ? Je ne sais pas.

   Il n’avait que rarement vu des professeurs de Poudlard en dehors du château. Bien sûr, le garçon était tout à fait au courant que, comme n’importe quel autre sorcier, les enseignants avaient une vie hors de leur cours mais durant sa scolarité, Adonis ne les avait que trop rarement croisés en dehors de Poudlard. En même temps, adolescent, Adonis n’était pas du genre à traîner à Pré-au-Lard. Il préférait rester tranquille dans la tour des Serdaigle. Il n’aurait jamais pensé à l’époque qu’un jour il prendrait un verre avec un enseignant et aux Trois Balais en plus. Pourtant, c’est bien ce qui était en train de se passer. Continuant de fixer les yeux sombres de l’homme, Adonis reprit :

    - Je ne vous ai pas demandé Archibald, quelle matière enseignez-vous à Pourdlard ?

À Archibald Janaster,

   Adonis enseignant ? Il n’y avait jamais pensé. Évidement qu’il adorait apprendre mais quant à partager son savoir à une classe entière, il ne savait pas s’il en était capable. Étudiant, il avait souvent aidé ses camarades dans le besoin par petits groupes généralement. Il excellait dans de nombreuses matières à l’époque et s’il pouvait se rendre utile, il le faisait. Mais ses camarades du moment voulaient apprendre. Gérer une classe était sans doute bien différent. Surtout durant les premières années, toutes les matières n’intéressaient pas tout le monde. Les jeunes élèves n’hésitaient pas à se dissiper, bavarder, chahuter. Adonis pourrait-il y faire face ? Il n’en savait rien mais il fallait tenter. Aussi, il tendit la main et saisit le morceau de papier qu’Archibald lui tendait. Il sortit sa propre plume et s’appliqua pour compléter son nom. Sans même connaître ses compétences, l’homme lui offrait une opportunité, il devait la saisir.

   Archibald enseignait la Métamorphose. C’était un cours qu’Adonis avait eu énormément de plaisir à suivre tout le long de sa scolarité. Cette capacité à moduler la matière était si intéressante. Son intérêt était tel qu’il avait décroché un Optimal lors de ces ASPIC. Dans son objectif de devenir Auror, Adonis se devait de toute manière d’avoir des compétences solides en Métamorphose, cela faisait partie de la sélection. Il l’utilisait parfois d'ailleurs peut être un peu trop lors de duels. Les sortilèges de défense étaient très efficaces mais un bon sorcier savait comment les bloquer ou diminuer leurs effets. Utiliser la métamorphose en combat était quelque chose de beaucoup plus original. Il fallait certes une concentration plus importante que pour simplement lancer un Stupéfix mais l’effet de surprise était, lui, bien plus important. Associé avec des effets imprévisibles et variés, la Métamorphose apportait à coup sûr un avantage.

   - Je vous remercie de votre confiance Archibald, répondit Adonis, je ne savais pas qu’il y avait un tel poste un pourvoir à Poudlard ! Il est vrai que la Métamorphose m’a toujours intéressé alors pourquoi pas l’enseigner un temps. Mon ultime objectif est de devenir Auror. Un poste d’enseignant ne pourrait qu’être positif pour atteindre cet objectif par la suite… Avez-vous des contacts à qui m’adresser pour candidater ?

À Archibald Janaster,

   La professeure aux Soins aux Créatures Magiques ? Pourquoi Archibald ne l’orientait pas directement vers le Directeur ? N’était-il pas disponible pour recevoir des candidatures ? Peu importe pour le moment. Adonis s’en occuperait plus tard. A cet instant, autre chose l’intéressait. Archibald lui avait proposé un défi. Ça aurait, en effet, été trop simple qu’Adonis puisse prendre tout simplement la lettre de recommandation. Un défi était bien plus intéressant. Adonis ne pouvait refuser, il était joueur, Archibald allait être servi.

   Le garçon réfléchit un instant. Il avait toujours été doué en Métamorphose. En duel, il était tout à fait capable de l’utiliser pour ligoter un ennemi en faisant apparaître de solides cordes, s’enroulant rapidement autour de ses jambes et ses bras jusqu’à le faire suffoquer. Mais il était également capable de se servir de la Métamorphose pour se défendre, pouvant changer des projectiles en pétale de fleurs ou en nuage de sable. De manière générale, la magie d’Adonis était lumineuse comme une torche brûlante au milieu d’une nuit sombre mais pouvait également s’avérer destructrice de bien des façons. Son utilisation de la Métamorphose n’y faisait pas exception. Cependant aux Trois Balais, la situation était tout de même bien différente. Adonis jeta un coup d’œil rapide autour de lui. Utiliser la Métamorphose dans un bar n’était pas forcément chose aisée. Il ne pouvait pas se permettre de lancer n’importe quel sort. Cela devait être discret tout en étant suffisamment impressionnant. Seuls quelques clients se trouvaient au bar mais il ne devait pas pour autant trop attirer l’attention ou les déranger. Les sorts à trop grande portée devaient être oubliés. Il était également hors de question de modifier le bar ou de provoquer des dégâts. Un sort lui vint alors à l’esprit. Cela pouvait faire l’affaire. C’était un sortilège très visuel qu’Adonis appréciait tout particulièrement. Il nécessitait une grande concentration mais dans la situation actuelle il n’avait aucune raison pour qu’on le dérange. Adonis devait oser. Il saisit sa baguette, la plaça au niveau de la table et donna un léger coup du poignet.

   - Artes Constringitur, murmura-t-il.

   De l’extrémité de l’objet s’échappa alors une vapeur givrée. Une fine pellicule de glace couvrit rapidement toute la table, grimpant jusqu’au sommet du cocktail d’Adonis. Le garçon fit alors des petits moulinets avec sa baguette. La glace se modelait. Une forme allongée grandit non loin de la tasse d’Archibald, suivit d’une autre puis d’une troisième et d’une quatrième. Les forme s’étirèrent encore jusqu’à ressembler à des tours aux toits aiguisés. Entre elles, s’élevèrent des murailles, sur plusieurs étages, se joignant à de nouvelles tours. Une forêt d’arbres de glaces se mirent également à pousser non loin. L’association des tours et des murailles formait désormais un véritable château miniature qui s’élevait au dessus d’une petite étendue de glace, imitant un lac. Une réplique glacée de Poudlard poussait littéralement sur la table, aussi bleutée que les yeux du garçon. De minuscules détails se creusait peu à peu dans le château, les toits, les fenêtres mais également les branches et les troncs des arbres de la Forêt Interdite. Un artiste moldu aurait bien eu du mal à atteindre un tel niveau de précision mais cela ne posait aucun problème à Adonis. Il maîtrisait parfaitement ce sort. La complexité de Poudlard de lui faisait pas peur. Lentement, il tendit alors son bras et pointa la copie du Lac Noir de sa baguette. Alors que l’air se rafraîchissait, un nouveau souffle de glace en sortit et se métamorphosa en deux minuscules formes, semblables à deux être humains miniatures qui se mirent à glisser sur la glace dans un ballet gracieux. La scène était onirique. La lumière du bar se reflétait sur toute la sculture donnant à la glace un côté cristallin presque précieux. Elle scintillait comme une gemme en plein soleil. Telle était la magie d’Adonis délicate et artistique, c’était une belle magie.

   - Qu’en pensez-vous, Professeur ?