Sous le soleil mourant, la foudre n’arrête plus de tomber. La bouche entrouverte, Adonis n’a plus de temps pour la réflexion. Revoilà quelques doigts chaleureux qui électrisent à nouveau sa peau et l’entraînent loin de la terrasse baignée d’or. Basculé en avant, il ouvre ses plumes et s’élance, s’efforçant de suivre les battements frénétiques de la libellule. Regardez-les déjà au salon, aussitôt assaillis par le gramophone trop bavard. Excitées par cette nouvelle présence, ses notes fusent et prennent aussitôt pour cible l’être de lumière. Glissant entre les canapés de cuir, elle chahutent et percutent violemment ses tympans trop sensibles.

   Sans pitié, les basses lui font éclater les entrailles. Son cœur explose au rythme du monde. Au dessus de sa tête balancée, le lustre en cristal se marre bien de le voir aussi perturbé. Il a froid, il a chaud, son propre corps ne sait même plus quoi dire. Sa peau électrique se met à vibrer à chaque battement. Lolly l’entraîne, il ne peut plus faire semblant. Les lèvres entrouvertes, il ne tient plus. Un accord parfait suffit pour le faire exploser. Un seul accord et l’humanité disparaît. Il était temps.

   Sous vos applaudissements endiablés, la créature mythique entre en scène sous une pluie de confettis colorés. Le Vélane brise toutes les barrières qui l’emprisonnaient et éclate au grand jour. Une précieuse couronne pousse sur la tête, Adonis devient l’unique maître, virevoltant jusqu’au centre du parquet, une main dans celle de la belle, l’autre au cœur de la fête. Sans hésiter, la piste de danse accepte l’allégeance et le pouvoir. Quelques pas sur son nouveau territoire, l’ange ne se contient plus, redouble l’intensité. Un do enivrant, un si passionnant, les croches pénètrent par chaque pore de sa peau. Est-ce une valse, un rock ou un tango ? Les mouvements s’inventent sans se concerter, la partition s’écrit, les âmes se complètent. La belle s’épanouit, l’ange est en transe.

   Le contact devient vite obsédant, sous une lune qui ne tarde plus à apparaître. Mais ici, personne n’ira se coucher. Cette nuit, c’est insomnie et tachycardie. Pourquoi s’endormir puisque cette danse est déjà si onirique ? Adonis lui-même ne peut plus résister. Ses yeux se ferment et tanguent. Rien qu’un instant, le Vélane reste aveugle face à une réalité physique qui ne l’intéresse plus. Tout n’est plus que sentiments et sensations dans sa tête, les plaisirs matérialistes n’ont plus aucun sens. La soirée commence seulement maintenant.

   Malheureusement, cette obscurité reste brève. Ses paupières ne sont plus assez fortes. Sous la puissance de l’infini qu’elles renferment, elles cèdent et libèrent les Champs-Élysées. Un battement de cils, l’aura éclate, éclaboussant les meubles italiens et les murs d’une chaleur dorée. L’écume de ses iris se couvre de paillettes, de rubis et d’émeraudes. L’Éden s’ouvre aux mortels, dont seul le Vélane a les clés.

   C’est la fête nationale, le quatorze juillet. Lolly à ses bras, la tristesse s’est évanouie, tout éclate pour renaître embelli. Noires de mélodies, les portées swinguent dans le temps, chantent dans l’espace. Adonis joue rubato et nuancé. À chaque instant, les rythmes s’immiscent dans ses cheveux. Blancs d’écume, vagues à l’âme, ils s’écrasent sur ses tempes tapantes, enivrées, vite avalés par l’océan doré.

   Le salon s’est transformé. Tout s’emballe et tout se balance, l’hybride perd le nord et le sud. Submergé de rouleaux pailletés, perdu dans l’infini, l’est et l’ouest n’ont déjà plus pied mais cela importe peu. Si ses doigts sont fripés par toutes ces courants, il parvient pourtant à maintenir doucement les pétales délicats de celle aux yeux pluvieux. Son cœur renferme pourtant des rayons de soleil, plus précieux encore que ceux de l’astre originel. Plus précieux que ceux qui inondent, un dernier instant, l’Italie d’une aquarelle ocre et vermeil, collé-serré avec l’or qu’Adonis continue de faire régner. Mais pour lui, ce n’est pas encore assez.

   Encore un mouvement, l’élégance divine rugit dans l’immensité de la pièce, écrasant tout sur son passage. Pas besoin d’apprendre, c’est inné. Respire, souffle, une tempête, un brasier. Maman serait fière de cette belle chorégraphie ! De nouvelles couleurs apparaissent, une nouvelle réalité. Chaque mouvement est plus souple que le précédent, chaque déhanché plus léger, les bras s’élancent et se courbent. Mais ils sont bien encouragés. Le sol bat la pulsation à chaque pas, le plafond et les murs répondent en harmonie. Même le lustre s’y met ! Tout se déforme, pas d’arythmie, le monde entier entre en symbiose avec les percussions dans la poitrine de l'auréolé. Les meubles se tordent et s’inclinent. Poussez les canapés, remballez les belles sculptures, elles n’ont plus aucun intérêt. Adonis n’est plus qu’un esprit pur, indomptable, éthéré. Une divinité.

Ma chère cousine semble bien mystérieuse avec sa main derrière son dos. Que cache-t-elle donc de ma vue ? Mes yeux suivent son sourire charmeur et provocateur. Qu'a-t-elle ramené ? Je suis bien curieux maintenant. J'arque un sourcil d'étonnement. Une bouteille d'alcool rien que pour nous deux ? Awanne prends place à mes côtés et tend le verre qu'elle a subtilisé avec l'alcool.

Vous êtes de ma famille. Vous avez tout les droits en cette demeure.

J'adresse un sourire à la Serpentard puis verse de l'alcool dans cet unique verre. J'appose le verre sur le bord de mes lèvres pour goûter ce délicieux liquide ambré. Le tournant doucement, je l'observe avant de le rendre à ma cousine. Basculant ma tête en arrière, mon regard s'attarde sur le ciel désormais noir comme l'ébène, les étoiles l'illuminant de part et d'autres. Quelques bougies se sont allumées à la tombée de la nuit, tamisant légèrement l'obscurité qui nous entoure.

Awanne, vous êtes issue d'une famille comme la mienne. Normalement, vous devriez être déjà promise à quelqu'un. Est-ce le cas ? Si non, peut-être que je pourrais rencontrer vos parents.

Me redressant, j'approche mon visage de celui de ma cousine. Je pose une main sur l'une des siennes et lâche un sourire charmeur. Nous venons tout deux d'une famille importante et venant d'un pays étranger. Si nous nous unissions, la pureté de notre sang serait protéger. Sauf si quelqu'un l'a déjà entacher avant. Je n'ai pas connaissances de vas et vient des autres membres de ma famille.

Les St Anthost et les Emerenziana doivent avoir un héritier au sang-pur. Et ce n'est sûrement pas Jackson qui en donnera un à notre famille... Il ne respecte pas ces traditions. Si Awanne et moi nous nous unissons, nous pourrons donner un puissant héritier. Nous pourrions profiter de nos corps et puis... Elle pourra faire ce qu'elle veut. Pourquoi lui interdirait-je ce que je m'autorise à faire ?

Mon sourire s'agrandis quand je dépose un doux baiser sur la pointe des lèvres d'Awanne.